Un sac à questions… plein de réponses

La collaboration de recherche avec le collège Jean Rostand a commencé à la rentrée 2018-2019. Suite aux deux premières journées de formation sur les fonctions cognitives, nous avons défini différents axes de travail, ayant pour but principal la mise en place d’une recherche visant à améliorer la mémorisation des connaissances transmises en classe (début de la recherche prévue en septembre 2019). Afin de mener à bien cette recherche et de pouvoir la mettre en place de manière optimum, il a été essentiel de passer par différentes démarches.

Une  équipe pédagogique volontaire était alors prête à s’interroger et expérimenter.

Dans un premier temps,  une série d’observations en classe a eu lieu pour permettre à Julie Bertrand, chercheuse en neurosciences et neuropsychologue, d’avoir une idée claire du fonctionnement du groupe classe et de proposer par la suite des dispositifs transposables en classe.

Suite à ces observations, nous nous sommes réunis (enseignants/chercheuse) et nous sommes interrogés sur une pratique que nous pourrions adapter et homogénéiser à l’ensemble des disciplines. Rapidement, a émergé l’idée qu’un rappel des leçons précédentes à chaque début de cours pourrait être utile. Après réflexion, nous avons opté pour un « sac à questions itinérant » qui, sous la bonne garde de quelques élèves, « voyagerait » de salle en salle. Le principe en est simple : chaque semaine, les professeurs volontaires rédigent deux ou trois questions dans leur matière, questions qu’ils mettent par la suite dans le sac, et qui sont posées par leurs collègues en début de cours (nous sommes libres de choisir les questions ou de les tirer au sort, la nouveauté étant que nous n’interrogeons pas forcément sur notre propre matière). Afin d’éviter les répétitions qui font que les élèves retombent souvent sur les mêmes questions, deux boîtes ont été mises dans le sac : une avec les questions « à poser » et une avec les questions « déjà posées ». Enfin, un « planning des questions » qui permet de travailler sur une réactivation mémorielle à court, moyen et long terme a été proposé Cela consiste à mettre dans le sac et à retirer du sac chaque semaine des questions sur des sujets en cours, traités récemment ou moins récemment (questions enlevées du sac au bout d’une semaine puis remises au bout de 2 semaines, puis 4 semaines, puis 8 semaines, etc…).. Enfin, en ce qui concerne les élèves, chacun est doté d’une ardoise et répond en quelques secondes aux questions posées.

Point de vue de Julie Eyrignac, professeure d’histoire-géographie de la classe

Pour un certain nombre d’entre nous, moi la première, l’idée n’était pas novatrice puisque nous faisions déjà des rappels de connaissances des leçons précédentes. Néanmoins, nous étions tous d’accord sur le fait que la mémoire est un élément essentiel qui se travaille, à court, moyen et long terme, et qu’elle revient souvent au cœur de nos discussions en salle des professeurs lorsque nous nous apitoyons sur les nouvelles générations qui « n’apprennent plus rien et ne retiennent plus rien ». Il ne fallait donc pas écarter cette idée de « réactivation » mais trouver un moyen de la rendre plus intéressante et plus efficace.

Au départ, je dois l’avouer, je fus assez réticente à mettre en place ce dispositif. Je ne le trouvais guère innovant et, surtout, il était synonyme pour moi d’une perte de temps. En effet, attendre que tous les élèves notent leur réponse et vérifier ensuite chaque ardoise, me paraissait « terriblement » chronophage. Mais, dès la première semaine de mise en œuvre, le sérieux et l’enthousiasme des élèves me firent changer d’avis. Alors que je pensais « me débarrasser du truc » et ne poser qu’une question, je me surpris rapidement à en formuler deux voire trois. Les questions étant courtes et ne nécessitant que quelques mots de réponse, la phase de « rédaction » ne prenait qu’une dizaine de secondes, tout comme la phase de « vérification » qui s’effectuait en deux ou trois coups d’œil bien organisés. Au fur et à mesure des semaines, ce rituel devint automatique, comme une sorte de préambule indispensable à la séance d’histoire géo. Nul besoin de demander aux élèves de sortir leurs ardoises, ils le faisaient naturellement. Bien sûr, il serait faux de dire qu’à chaque fois l’intégralité des réponses était juste, mais, à ma grande surprise, le pourcentage d’erreurs resta le plus souvent minoritaire, et ce quelque soit la matière. Je constatai également qu’un regard approbateur de ma part sur telle ou telle réponse me renvoyait un visage satisfait et gagnant peu à peu en confiance. Autre effet positif : je qualifierai ce sac à questions de « transition bienvenue » entre deux cours. En effet, lorsque les élèves arrivent d’une autre discipline, ils sont en général excités n’ayant pas eu le temps, lors de l’intercours, de relâcher l’attention. Les premières minutes d’histoire géo se résumaient alors à des rappels à l’ordre et à des demandes de calme. Depuis le mois de mars, début du dispositif, les trois questions posées et le temps de « détente travaillée » qu’elles constituent ont remplacé ce moment de tension.

En conclusion, je dirais que ce dispositif permet de réactiver et d’entretenir la mémoire de façon vraiment très régulière sur des sujets variés et a rendu plus serein mes débuts de cours. Il a aussi installé une certaine complicité entre les élèves et moi lorsque ces derniers me voient réfléchir, en même temps qu’eux, à la question posée ou lorsqu’ils sourient gentiment en entendant mon accent quelque peu balbutiant sur une question en langue étrangère. Je ne peux donc souhaiter que la poursuite du « sac à questions », son extension aux autres classes de 5e voire aux trois autres niveaux.

Point de vue de Julie Bertrand, chercheuse sur la mémoire et neuropsychologue

De mon point de vue de chercheuse, cette recherche semble avoir apporté une belle cohésion dans l’équipe des enseignants. Elle semble également perçue comme étant assez ludique pour les élèves qui en bénéficient. Cette recherche m’a aussi permise de me rendre compte de la difficulté de la mise en place d’une recherche suffisamment « pure et contrôlée », qui soit facilement applicable en classe. Il y a d’ailleurs très peu d’études appliquées en classe dans la littérature scientifique. Les résultats très attendus qui seront disponibles courant de l’été 2020 nous permettrons de voir si notre recherche a pu avoir les effets escomptés. Une chose est certaine, l’équipe faisant partie du projet se montre réellement motivée et investie. Cette collaboration nous permet de réaliser des passerelles entre le monde de l’éducation et le domaine de la psychologie, encore trop souvent dissociés aujourd’hui.

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